Généralités sur la cancérogenèse ☆ ☆ Ce texte est très largement inspiré par l'appendice sur la cancérogenèse rédigé par R. Monier et moi-même pour le rapport sur les causes du cancer en France. L'auteur remercie beaucoup R. Monier pour les nombreuses et fructueuses discussions qu'il a eues avec lui.
Auteurs : Tubiana M1De nos jours, la cancérogenèse apparaît comme un processus beaucoup plus complexe que ce que l'on croyait voici une décennie. L'étude du génome des cellules tumorales humaines a révélé un nombre de modifications génétiques et épigénétiques beaucoup plus grand que celui auquel on s'attendait. De plus, le délai qui s'écoule entre le premier événement initiateur (quand sa survenue est connue avec précision) et l'émergence clinique d'un cancer peut être très long, jusqu'à 60 ans. Ce long délai montre que les facteurs de risque durant la petite enfance et l'enfance méritent une analyse critique. Les données épidémiologiques amplifient le rôle de la promotion. Par exemple, l'alcool et l'amiante ne sont pas mutagènes, mais provoquent irritation et prolifération cellulaire. Même dans le cas du tabac, le rôle de la promotion apparaît comme plus important que celui des mutations. Dans la cancérogenèse humaine, les mutations initiales n'apparaissent pas comme une étape limitante ou cruciale. Au total, l'étude biologique de la cancérogenèse a montré que la cellule initiatrice n'est pas affectée passivement par l'accumulation de lésion par les agents cancérogènes physiques ou chimiques. Elle réagit par le biais d'au moins trois mécanismes : (a) en combattant contre les espèces actives de l'oxygène (ROS) générées par un stress oxydatif, tel que les UV ou les radiations ionisantes, (b) en éliminant les cellules lésées (ayant muté ou instables), à travers deux voies - (i) l'apoptose, qui peut être initiée par des doses aussi faibles que quelques millisieverts, éliminant ainsi les cellules comportant des génomes qui ont été endommagés ou mal réparés, (ii) la mort de cellules durant la mitose quand les lésions n'ont pas été réparées -, (c) en stimulant ou en activant les systèmes de réparation de l'ADN. De plus, les systèmes de communication intercellulaire informent une cellule des dommages subis par ses voisines. Un système d'induction intercellulaire de l'apoptose existe et des cellules non transformées peuvent trier sélectivement les cellules transformées. L'analyse transcriptionnelle moderne des gènes cellulaires faisant appel à la technologie de puces à ADN révèle que de nombreux gènes sont activés par des doses d'agents cancérogènes beaucoup plus faibles que celles pour lesquelles la mutagenèse est observée. Ces méthodes ont été la source d'un progrès considérable. Autrefois on pensait que la cancérogenèse était initiée par des lésions du génome affectant par hasard quelques cibles spécifiques (proto-oncogènes, gènes suppresseurs, etc.). Ce modèle relativement simple a été remplacé par un autre, plus complexe, dans lequel la relation entre les cellules initiées et leur microenvironnement joue un rôle essentiel. Ainsi, le processus cancérogène est contrebalancé par des mécanismes de défense efficace dans la cellule, les tissus et l'organisme. En ce qui concerne le tissu, les mécanismes qui gouvernent l'embryogenèse et régissent la réparation des tissus après une agression apparaissent comme jouant aussi un rôle important dans le contrôle de la prolifération cellulaire. Ceci est particulièrement le cas quand une cellule transformée est environnée de cellules normales, qui apparaissent comme étant capables d'inhiber sa prolifération. La désorganisation tissulaire par inflammation ou la mort d'une large proportion de cellules facilite souvent l'échappement de cellules initiées et l'émergence d'un clone de cellules pré-néoplastiques ou néoplastiques. L'efficacité de l'immunosurveillance est aussi démontrée par le large accroissement de l'incidence de plusieurs types de cancers parmi les personnes immunodéprimées.